De l’utilité sociale du CRS

Précision introductive, ce qui suit ne relève en aucun cas de la théorie du complot, il est évident que tout cela relève plus d’un imbroglio de stratégies administratives archaïques ayant des conséquences intéressantes sur un plan politique, que d’une manœuvre concertée.

Ceci précisé… je regardais ce matin une sorte de compte rendu de Villiers-le-Bel lorsque me revint en mémoire la phrase d’un ancien camarade de « mouvement » (dans ma jeunesse je militais dans des mouvements non-violents et assimilés, je doute fort que je re-signerais si on me le présentait, tout ce que j’ai glapi à l’époque…).

Ce « camarade », professait un intérêt particulier pour le CRS (à l’époque le CRS était clairement l’ennemi de prédilection, nous sortions juste du « CRS-S-S de main 68) au titre que le susnommé avait une évidente utilité sociale et politique et que le juger comme une simple machine à taper était une approche à très courte vue.

Sa théorie pouvait se résumer de la façon suivante : lorsque les jeunes paysans (à l’époque le problème était plutôt dans les campagnes, les jeunes paysans écrasés de dettes et avec un avenir.. déjà.. pour le moins bouché .. manifestaient assez violement à date régulière) pêtent un câble, il y a deux options.
La première c’est d’avoir une politique agricole qui leur sauve la mise, ce qui est à peu près impossible tant les divers intérêts sont contradictoires, la seconde est de leur envoyer quelques compagnies de CRS.
Ces jeunes paysans pleins de santé et manquant d’exercice, vont balancer les fourgons de CRS dans les champs, distribuer généreusement quelques gnons puis soulagés, rentrer dans leurs fermes , jusqu’au prochain coup de colère ou on va leur envoyer quelques compagnies de CRS etc etc….

Globalement l’histoire lui a plutôt donné raison, et, pendant des décennies, le CRS a été un élément important de la politique agricole.

Ceci me ramène à Villiers-le-Bel et plus largement à la dimension tactique du traitement policier des « émeutes en banlieue ».
Je n’ai pas lu grand monde s’étonner de l’incurie des services répressifs face à aux « débordements ».

La première fois qu’une « émeute en banlieue » (quand était-ce ?) s’est produite, que la technique « en ligne » traditionnelle (un alignement de CRS pour faire face à un alignement de manifestants) soit défaite était normal, et prévisible.

Le souci est que depuis, des « émeutes en banlieue » il y en a eu pas mal, or à chaque fois j’entends le récurent « oui mais on a été pris par surprise, ce sont des petits groupes mobiles etc etc.. on a du mal à faire face etc etc… », bref il semble que la stratégie anti-émeute des services chargés de ramener le calme ait plutôt régressé depuis 68 (ou côté mobilité le moins que l’on puisse dire c’est que les choses allaient pas trop mal en témoignent les tristement fameux « voltigeurs » en moto) .

Il ne s’agit pas seulement de digression sur la stratégie CRSienne, car l’évidente incapacité de ces derniers à faire face à ce qui est médiatiquement présenté comme une forme moderne de guérilla urbaine, a pour effet de laisser s’exprimer la dite « guérilla » voire de l’inciter à se développer, avec comme contre coup de centrer le discours a propos des banlieues sur les exactions de leurs extrémités.

Si j’étais mauvaise langue, je dirais qu’écraser dans l’œuf ce type de débordement obligerait à re-re-regarder en face le « problème des banlieues », alors que laisser la sensation que la « guérilla urbaine » peut gagner, permet de laisser s’amplifier les moyens de cette supposée « guérilla ». Nous sommes ainsi passés de « ces gens désespérés brûlent des voitures » (2005) à « ils tirent avec des armes à feu sur nos forces de police, la république ne peut tolérer ça » (aujourd’hui)

À lire un article intéressant du Monde, ou comment éviter soigneusement les bonnes questions (le traitement est le même que pour le compte rendu d’une soirée de la Star Ac’).
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-982827,0.html

Je n’ai pas trouvé de référence de journaux ayant travaillé la question de la stratégie anti-émeute (ou plutôt l’absence de) de nos forces de police et son impact sur les politiques (ou l’absence de) de la ville….

Tout cela pourrait passer à tort pour de l’ironie facile (c’est une réaction très « médiatique »).
Je reprécise donc :
– La critique sévère des exactions commises ne souffre de ma part d’aucun doute, aucune restriction, aucune limitation. Ce qui se produit lors de chaque « émeute en banlieue » est inacceptable dans une démocratie. L’agression des forces de polices est inacceptable dans une démocratie
– Je ne pense pas une seconde que les forces de police ont simulé leurs blessures ou se les sont fait occasionner délibérément.

Une fois ces portes ouvertes dûment enfoncées, nous pouvons en revenir à ce que je disais, et qui peut se formuler autrement :

Plutôt que de se poser la question (nécessaire) du « pourquoi ces gens font ils ça ? », il me paraîtrait intéressant que les médias se posent la question préliminaire « pourquoi peuvent ils le faire ? »

La légitime condamnation ne dispense pas (ne devrait pas dispenser) d’un minimum d’analyse au-delà des effets de manche faciles.

J’ai cité le papier du Monde parce qu’il me semble constituer un excellent exemple de traitement de ces « événements » . Pas une seule fois les journalistes ne semblent s’être posé la question de savoir pourquoi ce que eux voyaient, les forces de police n’étaient pas en mesure de la voir.
La « société du spectacle » semble avoir été inventée à Villiers-le-bel.

Pour faire court, je pense qu’une partie de la réponse à « pourquoi ces gens font-ils ça ? » est « parce qu’ils peuvent le faire ».. et ce point pose question.

Ou du moins peu, ou du moins devrait poser question. Pourquoi alors qu’on ne peut invoquer ni le manque d’expérience après 2005, ni l’effet de surprise ( il ne se passe pas un jour sans qu’on évoque le risque « que ça recommence »), pourquoi donc est ce que cela est possible ?

Si on regarde en arrière, les choses sont généralement laissées à l’état de « possible » dans les cas ou l’on a pas de solution alternative, c’est pour cela que j’ai cité l’exemple très représentatif (quoique certes situé dans un contexte autant social que politique, très différent de celui des banlieues) des paysans il y a quelques décennies..

Je ne pense pas le moins du monde que N. Sarkozy ait jamais décrété que rien ne serait fait pour les banlieues, je ne pense pas une seconde que N. Sarkozy instrumentalise la police pour stigmatiser les banlieues, je me pose en revanche (et j’aimerais que parfois les médias donnent l’impression de se la poser) la question de savoir si quelque chose est faisable pour ces banlieues (au-delà des pansements réguliers).

Si la réponse est « rien » alors la réponse à « pourquoi cela est-il possible ? » coule de source hélas, et on en revient à mon titre un brin (mais seulement un brin ) humoristique de « de l’utilité sociale des CRS ».

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