Réflexions sur le « user generated content »

L’homme de l’année c’est vous, oui vous ! C’est Time Magazine qui l’affiche en couverture et au-delà de Time Magazine c’est ce que claironnent les journaux à longueur de colonnes économiques (lorsque n’est pas à longueur de colonnes tout court).
« Vous » parce que Time Magazine célèbre la vague de l’« user generated content », le contenu généré par des utilisateurs qui se précipitent en masse pour voir celui que le voisin à posté et prier pour qu’une masse de ces voisins viennent voir le leur.

L’« user generated content « c’est un peu la Star’Ac à l’échelle planétaire, où tout un chacun peut espérer devenir une vedette sans avoir à composer avec les fourches caudines des votes par SMS surtaxés. Le nirvana de notre époque profondément marquée par le cocooning (le web moderne est l’enfant naturel du cocooning et de la télématique).

Il y a deux choses remarquables dans cette vague de l’« user generated content », en pratique deux annonces de fin.
La première est la fin de la ridicule saga du « journalisme citoyen » à qui le « user generated content » succède. Cette fin là, je ne m’en plaindrais pas, une des escroqueries majeures de ces dernières années se délite et c’est tant mieux.
En pratique, pour être précis, ce n’est pas l’émergence de l’« user generated content » qui a signé la fin du journalisme citoyen, un des ses inventeurs, Dan Gillmor avait déjà fait un constat d’échec il y a plus d’un an, mais autant les modes américaines traversent rapidement l’Atlantique lorsqu’elle en sont à leur phase euphorique, autant leur délitement met un temps fou à nous parvenir.
Il y a donc là une simple concomitance, mais comme les médias sont friands de tout ce qui pourrait ressembler à une nouvelle mode internet, l’« user generated content » prend logiquement la place du « journalisme citoyen », sans compter qu’il sent bon le « web 2.0 » [1] et que le « Web 2.0 » c’est furieusement tendance.

L’autre chose remarquable, plus anecdotique, presque plus romantique, est l’enterrement silencieux du vieux concept un rien baba cool de « village global » qui avait prévalu au tout début d’internet.
L’« user generated content » signe la consécration du règne des microcommunautés.

Ce mouvement a plusieurs caractéristiques, et son côté micro communautaire finira (enfin, je l’espère) par dissoudre également le concept aussi farfelu de « blogosphère ».

Farfelu parce que le terme de « blogosphère » suggère que les weblogs forment une sorte d’univers compact et cohérent s’étendant à l’échelle planétaire (ou à minima ) à une large échelle), alors qu’une observation rapide montre très clairement qu’il s’agit en fait d’une galaxie d’un nombre incroyablement élevé de petits systèmes totalement indépendants les uns des autres, voire s’ignorant, dont le seul point commun est la publication, régulière ou non, de notes classées par ordre chronologique. Chacun de ces systèmes regroupant quelques weblogs, ayant individuellement un auditoire assez faible.

La vision de la « blogosphère » semble encore très prégnante dans les cercles politiques (et dans une certaine mesure, médiatiques) qui finiront par s’apercevoir que contrairement à une idée fort répandue l’influence des weblogs est relativement faible (à ce sujet, voir plus bas « à propos de l’influence des weblogs ») .

Le pape du weblogmarketing en a fait l’amère expérience récemment, persuadé que sa récente et limitée gloire médiatique allait rejaillir sur toute la « blogosphère » il s’est lancé dans un mélange des genres (ou plus exactement dans une démonstration sincère ) qui lui a valu un retour de bâton à la foi violent et limité.
Violent parce que depuis les tout débuts d’internet, les chefs de clans n’aiment pas qu’on leur pique leur jouet, limité, tout bêtement à cause de l’influence limitée de ce qui n’est pas une « blogosphère ». Ce qui a été un énorme remous dans le tout petit cercle des gens tournant autour de ce pape du weblogmarketing est passé totalement inaperçu du reste des utilisateurs d’internet.

Reste le modèle économique de ce « user generated content » qui semble faire frétiller les Mont Blanc des investisseurs (il n’y a qu’à voir l’agitation autour de YouTube et assimilés), modèle dont le côté assez amusant finira peut-être par être perçu par ces bataillons de « fournisseurs de contenus » que sont devenus.. eh bien ma foi « vous ».

Le principe du « user generated content » est simple : vous fournissez gratuitement du contenu à une société qui gagne de l’argent avec grace à la pub, sans vous en reverser la moindre part, en contrepartie de quoi elle vous promet que ses membres viendront voir ce que « vous » avez créé.

L’« user generated content « c’est le royaume du nombril, c’est comme je l’écrivais au début de cette note, le principe de la Star’Ac mais étendu à une échelle putativement mondiale.
Qu’en réalité seule une infime, une microscopique partie des utilisateurs d’un DailyMotion, YouTube, GoogleVidéo ou autres ne viennent jeter un œil sur vos valeureuses créations est anecdotique, ce qui compte c’est que sur le papier, ils peuvent le faire.

Je suis fortement dubitatif devant ces systèmes et l’emphase dont ils sont l’objet me laisse tout à fait pantois. À une époque ou le moins que l’on puisse dire est que le contenu audiovisuel n’est pas rare, que des millions de gens continuent sur la longueur, une fois l’effet nouveauté dissipé, à consacrer du temps pour visionner les vidéos amateurs de Gérard Dugenou.. j’avoue avoir quelques difficultés à le croire.

Il est d’ailleurs symptomatique que sur les sites comme Dailymotion ou Youtube, qui agrègent des contenus majoritairement consternants (ou plus exactement dont la large diffusion frise le ridicule, mes photos de famille ne sont pas consternantes pour moi, elles ont même une très forte valeur émotionnelle, si en revanche je les proposais à la consultation publique…. ) les principaux contenus intéressants sont en général ceux qui ont été repiqués sur les télés.

En ce sens, les sites d’« user generated content » ont au moins une justification : servir de système d’archivage au « professional generated content » [2].

À propos de l’influence des weblogs
Cette réflexion m’est venue cet été lorsque j’ai reçu une demande d’interview distante (par email) de la part d’une jeune femme que je ne connais pas et n’ai jamais vue et donc qu’en toute bonne logique j’imagine délicieuse et avec un physique à tomber, ce qui m’incline à lui répondre prestement. Parmi les questions il y a l’inévitable « Quelles perspectives voyez-vous pour votre blog et pour les millions d’autres qui existent ? ». Quelques jours plus tard, je reçois un message de mon Amie Annie Viglielmo, qui revenait des universités d’été de l’UMP oui elle a fait partie de la liste des « blogueurs invités ».

Inviter des « blogueurs » à des « universités » politiques, pourquoi pas. Je n’ai pas vraiment d’idée là-dessus, je n’arrive pas à savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose. De toute façon pour les communicants politiques ce sera forcément positif, j’imagine assez mal un de ces « invités » sans habitude de la chose réagir de façon virulente par rapport à son « hôte » plus puissant, plus malin et plus séducteur.

Point de vue que confirme d’ailleurs la lecture/écoute rapide de ce qui a été produit sur ces « universités » y compris chez Annie d’ailleurs. Et de l’autre côté pour les invités c’est un moyen de prendre quelques jours de vacances aux frais de la république. Bref du Win-Win comme on dit chez Georges.

Ce qui est intéressant en fait ce n’est pas de savoir s’il est bien ou pas pour un « blogueur » d’accepter de se faire chouchouter pendant deux jours par un parti politique, mais plutôt le processus qui amène les partis politiques à mettre en place ce type d’opération promotionnelle.

Le postulat de base superficiel est (me semble-t-il) que le « blogueur » est quelqu’un d’influent voire un relais d’opinion solide.

Le problème est que toute observation un tant soit peu sérieuse invalide totalement ce postulat.

La réalité des choses me semble être que les weblogs ne représentent rien, si ce n’est une caste, auto proclamée « blogosphère » qui se renvoie continuellement la même balle et qui, à force de se la renvoyer fini par générer un bruit tel, que vue de l’extérieur elle prend une dimension très supérieure.

Rapportée par Pointblog une ’étude récente de Médiamétrie [3] confirme ce qui paraissait évident, le « phénomène » weblog relève d’un processus purement marketing dont la représentativité est proche du néant (ceci n’est pas une conclusion de Médiamétrie, mais une remarque personnelle, mais dont la dangerosité potentielle, au travers des facilités qu’elle offre à toutes les opérations d’intox ou de manipulation, n’est peut être pas négligeable, voir plus haut à ce sujet).

On pourra toujours contester tant les chiffres que la méthode utilisée par Médiamétrie pour ce qui est de la mesure des sites, il n’empêche, il y a des données qui ne trompent pas : « … selon Médiamétrie, 3 197 000 internautes français avaient un blog au premier trimestre 2006 soit 900 000 de plus qu’au troisième trimestre 2005. Et enfin, 15,4 % des Internautes français auraient posté au moins un commentaire sur un blog soit 4 074 000 internautes.»
Avec 4 millions de blogs en circulation (et même si une bonne part est vide) les blogs mêmes les gros ne peuvent pas avoir de l’audience, c’est arithmétiquement impossible.

Quelques exemples simples, celui de Loic Lemeur considéré comme le « pape » de la chose et en tout cas un de ceux qui s’agitent le plus pour la promotion de son blog (ce qui est parfaitement légitime puisque vendre des blogs est son métier) n’a que 8000 visiteurs jours, alors que le Kernel Panic de mon ami Florian Innocente, qui s’adresse à un lectorat assez confidentiel, ne bénéfice ni d’une promo effrenée ni d’une couverture médiatique disproportionnée, est au alentours de 1500.

Pour avoir une idée de ce que représentent ces chiffres au regard de la fréquentation du plus minable de site web de journaux, vous pouvez vous référer au site de l’OJD . L’OJD est un organisme fiable. Tout le monde ment à l’OJD, mais de façon encadrée, ce qui fait que peu ou prou tout le monde ment de la même façon et donc que les résultats sont globalement comparables.

Le site du magazine Médias vient de publier sous le titre éloquent Ras-le-bol de la Netpolitique un texte intéressant sur le thème de l’absence d’influence des weblogs.
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[1] Lire à ce sujet : Réflexions sur la presse et le web 2.0
[2] J’utilise personnellement Google Vidéo pour stocker gratuitement les vidéos de mes plateaux télés que je mets en ligne sur ce site.
[3] Les chiffres Médiamétrie

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